Tensions dans les campagnes d’Île-de-France au XVIIe siècle
Dans le tournant des années 1640, au nord de Paris, les gros fermiers s’exposent à la résistance populaire.
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Dans les campagnes placées sous la menace de l’ennemi durant la guerre de Trente Ans (1618 à 1648), la concentration des exploitations suscite de violentes réactions. Dans le Val-d’Oise, à Roissy-en-France comme à Louvres-en-Parisis, au cours de la moisson de 1637, les conflits liés au pâturage du bétail remontent en appel jusqu’au parlement de Paris. À Roissy, un marchand-laboureur est pris à partie le 26 juillet. Plusieurs petits tenanciers l’accusent d’avoir mis leurs vaches en fourrière pour délit de pâturage. À Louvres, d’autres laboureurs accusent les gros fermiers voisins de la ferme de Vaulerant d’avoir laissé leurs bergers conduire les troupeaux de bêtes à laine dans une parcelle déjà convertie en sainfoin.
En Brie, la « guerre du blé » est allumée. À Pontault-Combault (Seine-et-Marne), une petite bande de glaneuses, conduite par la femme d’un manouvrier, brave la réglementation que le curé de paroisse vient de rappeler le 12 juillet. Faisant mine de glaner, elle dérobe du blé dans les gerbes avant qu’elles ne soient chargées. Que se passe-t-il lorsque l’un des propriétaires s’oppose à ce vol caractérisé ? Les glaneuses vont jusqu’à le molester et à porter une fausse plainte en justice. Indéniablement, on entre dans le banditisme social.
Dans l’Oise, les fermiers, surtout les plus importants, s’exposent à retrouver leurs instruments de labour détruits. Antoine Dupré avait laissé une charrue « montée de toutes pièces » dans l’une des parcelles qu’il labourait à Silly-Tillard. La nuit du 28 au 29 mars 1637, plusieurs « malveillants inconnus » s’y transportent pour la fracasser après avoir mis de côté le soc et le coutre pour les emporter. François Meusnier a eu à six reprises ses charrues rompues en plein champ et les ferrements emportés en 1638, à Catillon-Fumechon.
Le 22 octobre 1640, aux portes mêmes de la ville de Beauvais, « certains malveillants » se donnent rendez-vous sur les huit heures du soir pour fracasser la « sixième et dernière des charrues » de François Lefebvre, laissée dans les champs. En quelques mois de violence, les instruments de labour ont été littéralement dépecés de leurs pièces de fer ou de bois : d’une charrue, on extrait le « maillet » et le « ployon » (qui servaient à régler la profondeur du labour et à orienter le coutre à droite ou à gauche), d’une autre une « oreille » (l’un des petits versoirs amovibles qu’on changeait de côté au retour de la raie) et des dernières « deux coutres et un socq ».
Quelques jours plus tard, dans la nuit du 26 au 27 octobre 1640, à Mortefontaine cette fois, Anne Carbonnier découvre avec stupéfaction qu’on a brisé sa charrue. Nicolas Desmarets, le receveur de Choisy-la-Victoire, au nord de Pont-Sainte-Maxence, connaît la même mésaventure un an après : dans la nuit du 16 au 17 octobre 1641, à la veille des semailles, certains « malveillants » rompent en mille morceaux ses cinq charrues.
Au sein même de l’agriculture, première branche de l’économie, les événements du tournant des années 1640 préfigurent les bris de machines à battre qui surviendront justement en plaine de France, au Mesnil-Amelot, un bon siècle plus tard. Ainsi, avant l’explosion sociale qui frappe les campagnes d’Île-de-France, pour culminer en 1775 lors de la guerre des farines, la résistance populaire face à l’individualisme agraire se manifeste au grand jour.
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